« Le Chemin des estives », lauréat du prix de la Liberté intérieure

Il a reçu le prix de la Liberté intérieure 2021 et c’est mérité ! Comme j’ai eu l’honneur de faire partie du jury de la Liberté intérieure, je partage ici mes impressions sur ce livre.

Un périple à travers la France

Dans « Le Chemin des estives » (éd. Flammarion), Charles Wright raconte son pèlerinage à travers la France. 700 km sans argent, ni tente ou téléphone. Parti d’Angoulême, il a marché jusqu’à l’abbaye Notre-Dame des Neiges, en Ardèche, où a vécu Charles de Foucauld. Un périple entrepris dans le cadre du noviciat jésuite, avec un compagnon de marche. À travers la Charente, la Dordogne et le Massif central, ils rencontrent des Français de toutes catégories sociales, et traversent aussi bien des lieux désertés où la nature est splendide que des zones périurbaines qui leur semblent froides et déshumanisées.

Quand on dépend du hasard des rencontres pour obtenir de quoi se nourrir, la question qui revient sans cesse c’est : de quoi demain sera fait ? En parallèle, il y a une question qui ressurgit à chaque église désaffectée : que va devenir le christianisme ? Charles Wright constate son déclin, et aussi l’indifférence parfois l’hostilité de nos contemporains vis-à-vis de la religion. Il s’émerveille de la générosité de certains qui par ailleurs se disent athées ou non chrétiens.

Ce récit prend parfois la forme d’une flânerie, on s’amuse de voir l’auteur saisir une pensée au vol, inspiré par l’apparition furtive d’un animal sauvage. Il égrène en parallèle la vie et l’œuvre Charles de Foucauld et d’Arthur Rimbaud, se nourrit des préceptes de « L’Imitation de Jésus Christ », et convoque aussi bien Pascal, Teilhard de Chardin, les Pères de l’Eglise que Mauriac, Thoreau ou Julien Gracq… Les références fourmillent et les pensées de Charles Wright bouillonnent !

Prompt à l’émerveillement, il pratique l’autodérision, notamment quand il dit rechercher la compagnie des vaches, au grand dam de son compagnon de route bien plus terre-à-terre… (À ce propos, le titre « le chemin des estives » renvoie à la saison où les troupeaux rejoignent leurs pâturages de montagne.) Le contraste entre ces deux personnages embarqués dans une aventure où l’épreuve est à chaque pas, prête à sourire. Ce compagnonnage m’a fait penser à un duo de roman. Il y aurait d’ailleurs une intrigue : Charles Wright va-t-il rester ou non au noviciat jésuite à la fin de la marche ? On devine rapidement la réponse, mais j’ai trouvé que ce questionnement rend l’auteur très attachant. À 37 ans, après une brillante carrière dans le journalisme et l’édition, il se décrit en amoureux de l’errance, et en fervent admirateur de ceux qui n’entrent pas dans les normes. Ce fan de Charles de Foucauld comme d’Arthur Rimbaud se demande s’il faut se laisser aller à l’aventure ou consentir à une vie ordinaire.

Ce récit parle-t-il de liberté intérieure ?

Dans ce livre, il est tout le temps question de liberté : dans le vagabondage, dans la contemplation… En lisant ce livre je me suis fait la réflexion qu’éprouver sa liberté intérieure c’est mesurer en soi la dimension de l’infini, ce que mesure en tout cas le pèlerin dans sa contemplation et son désir de se rapprocher de Dieu. Avec ce pèlerinage, Charles Wright fait un pas de côté, en dehors de la marche du monde. Il va au contact des forces de la terre, quand il regarde les paysages tourmentés du Massif central, c’est en contemplatif et aussi en géographe, tant il met de soin à nommer les lieux et décrire les reliefs. Un peu à la façon d’un Teilhard de Chardin, il étend sa quête spirituelle jusque dans cette matière-là, la roche. Jésuite ou non, il ne renoncera ni à la beauté du monde, ni aux trésors du christianisme fût-il en déclin.

Publié par

Odile Riffaud

Journaliste et passionnée de lectures

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